Meurtre de Charlie Kirk : halte aux fausses informations et à la diabolisation des personnes transgenres

« Terrorisme trans », « mouvement terroriste », « cellule terroriste »… Après l’assassinat de l’influenceur ultraconservateur Charlie Kirk le 10 septembre aux États-Unis, un cran a été franchi dans la rhétorique anti-trans de la sphère conservatrice américaine. Ces éléments de langage, distillés par l’extrême droite, qui ne s’appuient sur aucun fait concret, sont allègrement repris sur les réseaux sociaux et par des médias américains et plus largement anglophones, complices ou tout simplement en quête de sensationalisme. Ces amalgames dangereux et cette couverture médiatique irresponsable viennent encore fragiliser, déshumaniser et diaboliser une minorité qui est l’une des cibles privilégiées du président américain Donald Trump, légitimant de fait le déchaînement de violence et le recul des droits dont les personnes transgenres et/ou non-binaires font l’objet. Rappelons que bien qu’elles représentent moins de 2 % de la population adulte américaine, les personnes transgenres sont quatre fois plus susceptibles d’être victimes d’actes criminels dans le pays. Cela coïncide avec au moins quatre décrets de l’administration Trump qui discriminent spécifiquement les Américain·e·s transgenres, et fait suite à 215 millions de dollars de publicités politiques pendant la campagne de 2024 ciblant les personnes trans, relève l’association de journalistes LGBTQIA+ américaine GLAAD.

Il n’existe par ailleurs aucune preuve d’une escalade de la violence commise par les personnes LGBTQIA+, ni d’un lien entre transidentités et attaques terroristes, s’il était besoin de le souligner. Une enquête Reuters de 2023 confirme que les tueries de masse, par exemple, sont en grande majorité perpétrées par des hommes cisgenres aux États-Unis. Consoeurs, confrères, où sont ces chiffres dans vos articles ?

Nullement en reste, les médias français ne sont pas étanches à ces narratifs qui pointent du doigt une minorité déjà particulièrement fragile, devenue un des boucs émissaires de prédilection des forces réactionnaires britanniques puis européennes.

« Meurtre de Charlie Kirk : le tueur présumé vivait avec une personne transgenre » : c’est ainsi que l’Agence France-Presse (AFP) a titré l’une de ses dépêches, reprise avec la même titraille par des médias comme BFMTV, 20 Minutes et Mediapart. L’Association des journalistes LGBTQIA+ (AJL) s’interroge : en quoi l’identité de genre de la femme vivant avec le tueur présumé de Charlie Kirk constitue-t-elle une information pertinente méritant un angle à part ? Nous regrettons le rapprochement fait par l’AFP dans sa titraille et par plusieurs médias français dans leurs articles, comme le Figaro et 20 Minutes, entre violence, terrorisme et transidentités. Dans le corps de l’article, l’AFP ne fournit aucune base factuelle pour étayer ce rapprochement. L’AJL dénonce fermement ces dérapages inacceptables qui ont des conséquences concrètes pour notre communauté.

« La violence des mots mène à la violence des actes. C’est indubitable.» En 2024, SOS homophobie a reçu 1571 témoignages de violences, d’après son dernier rapport. Des chiffres qui reflètent le climat d’insécurité dans lequel vivent les personnes LGBTQIA +. « La parole haineuse s’est fait entendre de façon absolument décomplexée et banalisée », écrit SOS homophobie. « Si l’on peut dire ouvertement sur un plateau télé que le « lobby LGBT » œuvre à une « propagande » et à une « censure woke », pourquoi ne pas transformer l’essai en une agression justifiée par les élections législatives, qui permettraient de « casser du pédé librement » trois semaines plus tard ? », s’interroge SOS Homophobie « Ce glissement de sens intervient dans une difficulté croissante à dialoguer : il devient de plus en plus difficile de lutter contre les LGBTIphobies lorsque la fenêtre d’Overton, soit le champ des déclarations acceptables, est de plus en plus marquée à droite et que les médias et algorithmes privilégient les discours LGBTIphobes », ajoute l’association.

Nous nous interrogeons plus largement sur l’angle même de ces articles : pourquoi ne pas avoir clairement traité l’instrumentalisation de cet élément par les républicains pour nourrir leur propagande anti-trans ? C’est pourtant bien notre rôle, en tant que journalistes, de mettre cela en perspective. Soulignons à quel point la remise en cause de l’existence même des personnes transgenres, amplement relayé aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Europe, contrevient à leurs droits humains fondamentaux. Banaliser ces attaques est dangereux, le choix des mots nous oblige d’autant plus.

Quant à la colocataire ou compagne du tueur présumé de Charlie Kirk, cette dernière est mégenrée tout au long de la dépêche de l’AFP et dans divers articles de nos confrères et consoeurs. Comme nous l’indiquons dans notre kit à destination des rédactions, il convient de respecter l’identité de genre des personnes. Enfin, l’AFP ne cite aucune association luttant pour les droits des personnes trans afin de contredire ces affirmations anti-trans et violentes.

Hier les lesbiennes et les gays, aujourd’hui les personnes trans : qu’avons-nous retenu des traitements médiatiques catastrophiques du mariage pour tous ? Notre association condamne les choix éditoriaux des trop nombreuses rédactions qui, aujourd’hui encore, semblent avoir mis de côté leur rigueur journalistique pour surfer sur la dernière panique morale.

Consoeurs, confrères, la déontologie nous intime de refuser la stigmatisation d’une population, et la banalisation de la haine qu’elle subit en relayant, sans prise de distance ni contexte, de telles idées qui participent à ériger les personnes trans en figures repoussoir. Ce n’est pas un sujet de bataille culturelle, mais de qualité du travail journalistique.

L’Association des journalistes LGBTQIA + (AJL)
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