Les confusions entretenues autour de la PMA

En finir avec une Polémique médiatiquement assistée. Ce chapitre du kit « Informer sans discriminer » initialement publié en janvier 2018, a été mis à jour et augmenté le 28 juillet 2020.

Où est le problème ?

Le traitement médiatique de l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes se heurte souvent à plusieurs écueils : invisibilisation des lesbiennes, polarisation des débats autour des arguments de mouvements réactionnaires tels que La Manif pour Tous, confusion entre PMA et gestation pour autrui (GPA). Pour encourager un traitement médiatique éclairé, rigoureux et respectueux de ce sujet, ce chapitre regroupe quelques conseils et points-clés.

Avant d’entrer dans le détail des termes à éviter ou à privilégier, un conseil général : pour l’AJL, les articles, débats et reportages consacrés à la PMA doivent nécessairement donner la parole aux premières concernées, à savoir les femmes lesbiennes, bisexuelles, pansexuelles, les personnes trans, quel que soit leur situation maritale. Les associations et les militantes de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes sont des interlocutrices incontournables pour un traitement équilibré du sujet. Sans elles, ce sont de précieuses ressources dont on se prive : leurs arguments et les témoignages de leurs vécus.

Déconstruire les éléments de langage

Une question de droits humains
En France, la question de l’accès à la parentalité pour les femmes lesbiennes, bi·e·s, et les personnes transgenres, est le plus souvent abordée sous l’angle de la technique, au travers des pratiques de “procréation médicalement assistée”. Mais elle est rarement abordée dans une perspective de protection des droits des femmes et des minorités sexuelles, notamment en ce qui concerne leur capacité à concevoir des enfants et à être protégées en tant que famille. L’accès à la PMA n’a pas été traité en France comme un enjeu de droits reproductifs, mais essentiellement sous l’angle médical, effaçant ainsi du débat médiatique la question des droits humains.

La PMA existe déjà en France
La PMA est autorisée en France… depuis 1982. Elle s’adresse aux couples hétérosexuels dans des cas d’infertilité – qu’elle soit constatée médicalement ou non – ou de maladie grave susceptible d’être transmise à l’autre membre du couple ou à l’enfant. Les PMA réalisées à l’étranger sont reconnues en France. À noter qu’entre 1982 et 1994 (année à laquelle ont été votées les premières lois de bioéthique), un vide juridique a permis à des couples de femmes d’avoir recours à la PMA. Pour parler du débat actuel, on utilisera donc de préférence les termes d’« ouverture de la PMA à toutes les femmes ». Pour être plus précis, on pourra parler d’« ouverture de la PMA à tous et toutes ». En effet, même si le projet de loi tel qu’il sera présenté en deuxième lecture à l’Assemblée nationale ne concerne pour l’instant que les femmes lesbiennes et les femmes célibataires, de nombreuses associations regrettent le fait que les personnes trans (femmes et hommes trans) soient exclues du projet de loi.

Ne pas reprendre les slogans réactionnaires
« La PMA sans père » est un slogan de La Manif pour Tous. Elle insinue que le seul modèle familial acceptable est composé d’une mère et d’un père : Or, selon les dernières statistiques publiées par l’Insee (chiffres 2011), les familles monoparentales et recomposées représentent respectivement plus de 9% et 20% des foyers français. En outre, depuis l’entrée en vigueur du mariage pour tou·te·s en 2013, la loi reconnaît les familles homoparentales et leur droit à l’adoption. Enfin, les célibataires peuvent également adopter : en 2008, un tiers des agréments délivrés à Paris concernait des personnes célibataires, comme l’a souligné Le Figaro.

Dernière précision : que l’on grandisse dans une famille monoparentale ou homoparentale, les figures masculines ne se limitent pas à celles du père. L’ouverture de la PMA à toutes les femmes ne conduirait pas à un changement civilisationnel. Les termes de « La PMA sans père » sont donc à écarter pour qualifier l’ouverture de la PMA à toutes les femmes.

La PMA n’est pas un « caprice »
Quand on parle de « PMA de confort », on réduit l’accès de la PMA à un caprice. Cette conception rejoint celle d’une « IVG de confort » et vise, en ce sens, à culpabiliser les femmes. Lorsqu’on mobilise cette expression, il est sous-entendu que les lesbiennes pourraient faire l’effort de consentir à un rapport hétérosexuel. Dirait-on à une femme hétérosexuelle dont le compagnon est stérile d’avoir un rapport sexuel avec un autre homme ? 

Au premier abord, il semble que les techniques de PMA soient réservées aux couples hétérosexuels souffrant de pathologies. Or, il existe également des cas où, sans qu’un diagnostic médical n’établisse les causes de l’infertilité, des couples hétérosexuels bénéficient de l’aide médicale à la procréation. Dans un entretien accordé à Marianne en septembre 2017, le professeur René Frydman, considéré comme le « père » de la PMA en France, expliquait que cette technique « dépasse actuellement déjà le cadre du médical ».

Derrière ce slogan, les opposant·e·s insinuent que l’ouverture de la PMA à toutes les femmes conduirait à défier les règles biologiques au nom d’un prétendu « droit à l’enfant ». Comme le soulignait la sociologue Dominique Mehl dans une interview à France Info en novembre 2017, une telle expression est inexacte : « Si ce droit existait, pour une adoption ou dans un centre de PMA, vous iriez devant les tribunaux en cas de refus. Ce n’est pas le cas, ce n’est donc pas un droit, mais une liberté de procréer ».

C’est aussi une manière de nier l’épreuve psychologique et financière que peut devenir un parcours de PMA à l’étranger. Selon une enquête des Décodeurs du Monde en 2019, une PMA à l’étranger peut coûter entre 300 et 11 000 euros selon le pays et la technique utilisée.

La PMA n’est pas « l’antichambre » de la GPA
La confusion entre PMA et GPA est entretenue par les opposant·e·s, et est souvent reprise telle quelle par les journalistes. L’engagement du gouvernement ne concerne pas la gestation pour autrui (GPA), comme l’a plusieurs fois rappelé Marlène Schiappa alors  secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, notamment en septembre 2017 au micro de France Info : « Non, le gouvernement ne proposera pas la GPA. »

Par ailleurs, l’ouverture de la PMA à toutes les femmes constitue l’élargissement d’un droit déjà existant, tandis que la GPA nécessiterait la création d’un arsenal législatif indépendant. En outre, cette accusation s’appuie sur un vocabulaire complotiste (« antichambre », « pente glissante ») qui entretient l’idée que l’extension de la PMA n’est finalement qu’un élément d’un programme mené dans l’ombre par un « lobby LGBT ».

Ne pas jouer sur les peurs
L’argument de la pénurie de sperme, à bien des égards anxiogène car jouant encore une fois sur la peur d’une extinction d’une humanité, renvoie à une réalité en France : les campagnes d’État de don de gamètes sont rares et échouent à inciter des potentiel·le·s donneur·se·s, contrairement à d’autres pays européens où le don de gamètes est considéré comme un geste civique tel que le don d’organes ou de sang. 

Par ailleurs, justifier l’exclusion d’un groupe social au bénéfice d’un autre du fait d’un problème organisationnel équivaut purement et simplement à perpétuer une discrimination. Cela reviendrait à interdire aux femmes de travailler, en raison d’un fort taux de chômage.

Donner la parole aux personnes concernées

Après la publication de l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur le projet de loi bioéthique de la PMA à l’automne 2018, l’AJL s’est étonnée du traitement médiatique de l’ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires et plus particulièrement de l’absence de ces dernières sur les plateaux télé et radio. L’association a interrogé des personnalités ouvertement lesbiennes, telles que la footballeuse Marinette Pichon, l’entraîneuse Amélie Mauresmo et la journaliste Elodie Font. Très peu d’entre elles avaient été sollicitées pour une réaction, une interview ou un témoignage. Toutes ont déploré un traitement médiatique de l’extension de la PMA faisant la part belle aux opposant·e·s. « On a vraiment l’impression que les lesbiennes et les femmes sont les boucs émissaires d’une course entre les médias pour le fric et le buzz. Les invités sont tous plus réacs les uns que les autres », a notamment constaté l’avocate Caroline Mécary.  

Un an plus tard, même constat. Durant l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi relatif à la bioéthique (du 23 septembre au 15 octobre 2019), l’AJL a assuré une veille sur les matinales des 5 radios françaises nationales généralistes : France Inter, France Info, RMC, RTL, Europe 1, en semaine et le week-end. Le sujet de la PMA a été abordé 35 fois en vingt-deux jours, par 29 hommes et 19 femmes, dont deux lesbiennes en couple, une femme célibataire, zéro personne trans et zéro enfant né par PMA. Là encore, la très grande majorité des articles sur l’ouverture de la PMA se focalise sur le débat : « Pour ou contre la PMA ? » Dans ces débats, ce sont les personnes favorables au projet de loi qui ressortent grandes perdantes : 14 pour, contre 25 contre. 

Cette polarisation du débat a été préférée à des discussions sur le projet de loi en lui-même. De nombreux angles ont été négligés au profit de l’opposition partisane : l’exclusion des personnes trans, mais aussi la possibilité d’une démédicalisation d’une partie du processus tel que proposé par le Planning familial, la remise en question du monopole des Cecos, l’efficacité des campagnes de dons gouvernementales, la légalisation de la méthode dite Ropa (Réception d’ovocytes de la partenaire), les origines du droit de la famille -hétérosexuelle- en France, le droit aux origines, l’achat de gamètes à l’étranger ou encore le recours à des cliniques européennes pour effectuer des PMA.

Donner la parole aux personnes concerné·e·s permet de sortir de ce débat binaire et de faire entendre le vécu concret de ces personnes en donnant corps au sujet, plutôt qu’en créant une énième polémique.

S’y retrouver dans un vocabulaire complexe

Procréation médicalement assistée ?
La procréation médicalement assistée (PMA) – ou « assistance médicale à la procréation » (AMP) regroupe l’ensemble des pratiques d’aide à la procréation : fécondation in vitro, insémination artificielle, accueil d’embryon.

Avec l’insémination artificielle, la fécondation a lieu à l’intérieur du corps. Le médecin dépose les spermatozoïdes dans l’utérus, afin de faciliter la fécondation. La personne qui porte l’enfant suit souvent un traitement. L’insémination artificielle peut se faire avec le sperme du partenaire ou via un don anonyme. Dans le cas d’une fécondation in vitro (FIV), la fécondation a lieu en laboratoire. Une fois l’ovule fécondé, il est placé dans l’utérus. Dans cette procédure, on peut avoir recours à un don anonyme de sperme ou d’ovocytes. Enfin, troisième cas, il est possible d’accueillir un embryon fécondé à partir des gamètes d’un couple ayant déjà effectué une FIV qui fait don de ses embryons surnuméraires.

Chaque année, environ 50.000 couples ont recours à des techniques de procréation médicalement assistée en France. On estime à environ 2.000 ou 3.000 le nombre de PMA réalisées à l’étranger par des Français·es. Une étude de l’Institut national d’études démographiques (INED) estime que 3,4 % des enfants nés en France en 2018 ont été conçus par PMA, soit un enfant sur 30 ou 26.000 naissances parmi 770.000.

Remboursement
En France, la Sécurité sociale assure le remboursement à 100% de ces procédures jusqu’au 43e anniversaire de la personne portant l’enfant, à hauteur de six inséminations artificielles et quatre fécondations in vitro. Dans le projet de loi actuel, la PMA devait initialement être remboursée pour toutes les femmes, mais le Sénat s’y est opposé. Le remboursement de la PMA pour toutes devrait être de nouveau soumis à un vote lors de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

Donneur·se·s
En France, le don de sperme se fait auprès d’un Cecos, une unité spécialisée dans l’infertilité implantée dans un CHU en charge de la collecte et de la conservation des gamètes. Il peut se faire entre 18 et 44 ans, et le don d’ovocyte entre 18 et 37 ans, à condition d’être en bonne santé et de se soumettre à plusieurs tests en amont. C’est un don anonyme et gratuit. En outre, un courrier est envoyé chaque année pour demander si les gamètes peuvent être conservés. Dans les deux cas, le dossier médical anonymisé est conservé 40 ans minimum.

Dans la pratique, il est possible de donner son sperme à une ou des ami·es en dehors du parcours officiel, on parle alors de don amical. Le don se fait alors lors d’un coït ou d’une insémination artisanale.

Les couples et femmes célibataires peuvent aussi faire appel à des donneurs ou donneuses étrangères lorsqu’elles et ils n’ont pas accès légalement à la PMA en France, en raison de leur situation maritale ou de leur âge, ou lorsqu’elles et ils ne veulent pas d’un don anonyme. Elles et ils peuvent se rendre dans des cliniques à l’étranger ou passer commande auprès de banque de sperme. Celles-ci envoient alors les gamètes à la clinique de fertilité ou la ou le professionnel de santé choisi par la future mère.

La PMA à l’étranger
À ce jour, quatorze pays européens ont ouvert l’accès à la PMA aux couples lesbiens et aux femmes célibataires (les Pays-Bas, la Finlande, le Danemark, la Suède, la Belgique, l’Espagne, la Croatie, le Royaume-Uni, l’Irlande, le Luxembourg, l’Islande, l’Autriche, le Portugal et Malte). 

Actuellement, certaines personnes n’entrant pas dans les conditions d’accès aux techniques de procréation médicalement assistée en France, car célibataires, lesbiennes en couple, ou âgées de plus de 43 ans, cherchent des solutions à l’étranger. Pour réaliser des PMA, beaucoup se tournent vers des pays européens, à la fois pour des raisons financières, logistiques et réglementaires. Chaque pays qui autorise la PMA établit en effet des réglementations différentes sur le choix du donneur, l’accès aux origines ou encore le passage de tests psychologiques. En Belgique, les femmes peuvent recourir à l’anonymat du donneur, ou choisir un donneur connu lors de leurs parcours, jusqu’à 45 ans.

D’après La Croix, au moins 2.400 françaises se rendent chaque année en Espagne et en Belgique pour recourir à une PMA.

— La filiation des enfants issus de la PMA
Les couples de femmes et les femmes célibataires ont recours à des donneurs anonymes (ou semi-anonymes) qui ne sont pas reconnus comme pères socialement ni juridiquement. 

La loi de 2013 a permis à la mère qui n’a pas porté l’enfant, appelée « la mère sociale », d’effectuer une demande d’adoption au tribunal afin d’obtenir une reconnaissance de son statut à condition d’être mariée à la mère qui a accouché. Contrairement aux couples hétérosexuels, la filiation de l’enfant avec le deuxième parent à l’état civil n’est pas automatique.

Pour aller plus loin…

Le cri d’alarme de la journaliste Marie Labory, lesbienne et mère de deux enfants, sur Franceinfo : « Qu’est-ce que vous attendez, il y a urgence ! » 

« PMA au temps du confinement : entre rêves en pause et rêves brisés », une enquête sur Komitid.

« Où en est la PMA pour toutes en Europe ? », état des lieux par Euronews.