Le vendredi 12 décembre 2014, le magazine people Closer révèle l’orientation sexuelle de Florian Philippot, député européen et vice-président du Front national. En couverture: «Oui à l’amour tous», avec une photo de Florian Philippot et de son ami, dont le visage est flouté et le nom jamais mentionné. Dans un article de quatre pages, illustré par des photos, il est raconté son escapade à Vienne avec «son ami, qui est toujours là pour défendre la cause gay à coups d’articles et de vidéos».
Reprise de tweets d’hommes politiques
La veille, l’hebdomadaire Le Point avait le premier annoncé le scoop de Closer : «Dans le magazine, on les voit côte à côte, se prenant en photo l’un l’autre comme deux amoureux. C’est la première fois qu’un journal révèle au grand public l’existence d’un couple gay dans le milieu politique.» Dans la soirée de jeudi et le lendemain, des journalistes et des hommes politiques s’en émeuvent. Et de nombreux médias (De Téléloisirs à Europe1 en passant par Pure Médias et Le Figaro) s’en font l’écho en publiant les tweets suivants.
Dans la classe politique, Nicolas Bay, député socialiste du Pas-de-Calais, parle d’un «outing inacceptable». Le député socialiste Olivier Faure se sent «pour un soir solidaire de Philippot». Au Front de gauche, Alexis Corbière trouve «dégueulasse qu’une presse révèle les détails de sa vie privée». Le vice-président du Front national Louis Aliot qualifie Closer de «torchon». Un tweet de Ian Brossant, adjoint communiste à la mairie de Paris, nuance: «On dira ce qu’on veut, mais le meilleur remède contre l’outing, ça reste le coming out…»
Des journalistes révoltés
Sur Twitter, des journalistes politiques sont révoltés. Guillaume Dandin, journaliste à l’AFP, écrit: «Vie politique, vie privée, deux mondes qui doivent rester séparés». Au Monde, Abel Mestre se demande: «C’est quoi la prochaine étape? Des listes de politiques selon les orientations sexuelles?» A Marianne, Jack Dion : «L’outing médiatique d’une personnalité, quelle qu’elle soit, est une pratique immonde.» Pour Christophe Barbier, directeur de la rédaction de L’Express, «l’outing de Philippot par Closer est indigne». Tout en dénonçant l’outing, de nombreux journalistes relayent l’information.
Certains médias, comme Le Monde, ont choisi de ne pas écrire sur l’outing de Philippot. Le quotidien évoque néanmoins le 13 décembre, le ralliement de Sébastien Chenu, cofondateur de Gaylib, à Marine Le Pen. Une coïncidence notée par Médiapart: «Quand le FN devient gay-friendly».
«Une atteinte à la démocratie»
Dans un éditorial du Nouvel Obs, le rédacteur en chef Renaud Dély parle d’«une atteinte à la démocratie», qui «menace un peu plus le débat républicain»: «Quiconque est titulaire d’une carte de presse doit condamner le comportement de ce type de presse qui salit l’ensemble de la profession de journaliste.» Pourquoi ? «Le dévoilement de l’intime, c’est-à-dire ce qui n’appartient qu’à soi, est sans doute la pire douleur que l’être humain peut éprouver.»
Dans un autre éditorial, L’Aisne nouvelle évoque un «Secret Story politique», dont nous serions spectacteurs: «S’intéresser aux orientations sexuelles de nos dirigeants ou aux coucheries des uns et des autres, dès lors que cela n’a aucune incidence sur la vie de nos concitoyens, nous relègue au rang de simple voyeur.»
«Une révélation qui peut être utile» pour l’AJL
Vendredi matin, l’AJL publie à son tour un communiqué expliquant «pourquoi la révélation de l’homosexualité d’une personnalité publique peut être utile». Sa position est notamment citée dans un article de L’Express («Les journalistes LGBT défendent l’outing de Florian Philippot»), dans un éditorial de Têtu («Outing de Florian Philippot: de quoi parle-t-on?»), dans un article en ligne de Closer («Affaire Philippot : Les journalistes LGBT réagissent à la publication de Closer») et dans une dépêche AFP («Les photos de Philippot ont “une importance politique”, selon Têtu») reprise par de nombreux sites (TF1/LCI par exemple).
De son côté, le journaliste Edwy Plenel, président et cofondateur de Mediapart, invite dans un tweet à lire la «pertinente mise au point de l’Association des journalistes LGBT sur l’affaire Closer-Philippot».
Arrêt sur images souligne que «l’outing de Philippot suscite un vaste débat sur les limites de la vie privée», relevant la différence de traitement par certains médias des relations des hommes et femmes politiques. Le site esquisse des parallèles avec les liaisons hétéro «Hollande-Gayet, Montebourg-Filippetti». Cette «différence de traitement est également dénoncée par l’association des journalistes Lesbiennes Gay Bi.e.s et Trans (AJL)», rappelle le site.
Enfin, L’AJL, dont le communiqué rappelle les précédents juridiques, est à ce titre également mentionné dans Libération pour «Philippot: l’outing, la transparence et la commère».
Des commentaires à la virulence des réactions
Octave Nitkowski, auteur de Le Front national des villes et le Front national des champs, qui évoquait l’homosexualité de Steeve Briois, publie sur The Huffington Post sa «réponse à Closer». «L’atteinte à la vie privée de Florian Philippot est clairement caractérisée car il s’agit bien d’une révélation».
Mais il constate des «accusations plus virulentes que d’habitude» à l’égard de Closer. «Lorsqu’il est question d’hétérosexualité, chacun fait la différence entre l’orientation sexuelle et la vie intime. Mais dès lors qu’il s’agit d’homosexualité, tout le monde s’indigne excessivement, ne parvenant pas à faire la différence entre orientation sexuelle, qui peut être publique, et vie intime, qui relève alors de la vie privée.» Et d’ajouter: «Pour cette affaire Philippot, la notion de “respect de la vie privée” que certains hommes politiques et journalistes défendent fait incontestablement transparaître l’hétéro-centrisme dont ils font preuve et du tabou que représente pour eux l’homosexualité.»
Interviewée par La Nouvelle République, Léa Forestier, avocate spécialisée en droit de la presse, qui a défendu Octave Nitkowski dans l’affaire Briois et Bilde, pense que la focalisation sur l’homosexualité «en dit long sur le degré d’homophobie de notre société, qui voit dans l’homosexualité un caractère de dévalorisation de l’homme public.»
Une information reprise à l’étranger
A l’étranger, l’outing de Philippot fait également l’actualité. En Grande-Bretagne, The Telegraph note qu’il soulève «l’attitude ambigüe du FN par rapport aux gays». Les médias espagnols y consacrent beaucoup d’articles, notamment El Mundo, deuxième quotidien du pays: «Sale a la luz la homosexualidad del ‘número dos’ de Marine Le Pen».
En Italie, les deux quotidiens les plus vendus du pays rapportent l’outing de l’adjoint de Marine Le Pen : Corriere Della Serra («Francia, nuovo scoop di «Closer» Gay uno dei vice di Marie Le Pen») et La Repubblica («”L’amore è per tutti”: svelata la relazione gay del vice della Le Pen»).
A suivre
— Revue de presse : L’outing de Florian Philippot (la suite).