Le 1er juillet, à la veille de la Marche des fiertés parisienne, le journal Libération a publié une tribune de notre association. Nous en reproduisons ici le contenu.
Il y a trois semaines, la fusillade homophobe d’Orlando, qui a fait 49 morts et 53 blessés dans un club gay de Floride, fut la tuerie de masse la plus meurtrière qu’aient jamais connue les Etats-Unis. Elle fut aussi révélatrice de l’incapacité en France à écrire et à prononcer le terme «homophobe». A l’approche de la marche parisienne des fiertés LGBT (lesbiennes, gay, bi, trans), qui se tiendra samedi 2 juillet, l’Association des journalistes LGBT (AJL) rappelle aux médias la nécessité d’utiliser les bons mots.
A l’annonce de la tuerie américaine, très peu de médias français ont souligné le caractère homophobe de l’attaque. «Nuit d’horreur en Floride» (le Parisien), «Orlando, nouvelle plaie béante» (Libération), «la Terreur et la Haine» (le Figaro)… Pourquoi occulter le fait que la discothèque où a eu lieu la fusillade était un lieu communautaire, connu de toute la population LGBT d’Orlando ? Pourquoi nier que les victimes ont été tuées ou blessées parce qu’elles appartenaient à cette communauté ou qu’elles fréquentaient spécifiquement ce club?
«Le tueur a peut-être choisi cette discothèque par hasard», nous a-t-on dit, «attendons la revendication». Comme s’il revenait aux assassins de qualifier leurs crimes, et à la presse de reprendre bêtement leur «communication». Or, ce sont les victimes qui donnent leur sens aux crimes. La fusillade d’Orlando était homophobe, point. Elle était aussi raciste, pourquoi l’occulter ? La majorité des victimes appartient à la communauté latino. Que la tuerie ait été perpétrée au nom du groupe Etat islamique ou pas n’y change rien. Que le tueur ait lui-même pu entretenir des relations homosexuelles non plus.
En réalité, ce n’est pas la première fois que les journalistes français ont du mal à qualifier les crimes de haine, qui ciblent des catégories de personnes pour ce qu’elles sont. Peur panique de tomber dans un supposé «communautarisme», impression de trahir leur pseudo-objectivité… les raisons sont identifiées, et toutes dommageables. «Ignorer le caractère antisémite de Merah et de ses possibles complices, c’est se borner à ne rien comprendre aux assassinats commis à Toulouse le 19 mars», expliquait, en 2012, l’avocat de la famille de l’enseignant juif tué par le terroriste avec ses deux enfants. Il en va de même avec les injures et les crimes homophobes. Malgré les atermoiements des médias, traiter son entraîneur de «fiotte», comme l’a fait en février le footballeur français Serge Aurier, c’est homophobe. Trop souvent, lorsque les journalistes ne peuvent pas s’appuyer sur la dénonciation d’une association ou sur «l’indignation des réseaux sociaux» – qui qualifient correctement, eux, l’insulte ou le crime – alors, ils se taisent. Comme s’ils ne disposaient pas eux-mêmes des outils d’analyse pour caractériser l’événement. Au mieux, ils usent de néologismes discutables. Le «racisme antihomosexuel», comme l’a qualifié le Monde après la tuerie d’Orlando, a un nom : il s’appelle «homophobie», tout comme le «racisme» antifemme (sexisme), le «racisme» antijuif (antisémitisme), ou le «racisme» antimusulman (islamophobie).
Utiliser les mots justes, cela revient à reconnaître entièrement les victimes et les identités qu’elles se sont appropriées pour dénoncer les violences subies par ces communautés. Les personnes qui participeront à la marche des fiertés LGBT, samedi 2 juillet, ne viendront pas uniquement pour faire la fête, mais aussi pour dénoncer les discriminations et les «LGBTphobies» toujours présentes, qu’elles soient étatiques – refus de la PMA pour les lesbiennes, absence de loi pour les personnes trans – ou individuelles. En 2015, l’association SOS Homophobie a encore recueilli plus de 1 300 témoignages sur sa ligne d’écoute. N’oublions pas cette réalité. Les journalistes sont là pour qualifier le réel, pas le nier.